Je me tenais là, comme tous les samedis, regardant ce que du sucre ou du sel allaient les tuer. Ils faisaient la queue pour moi. J’étais la porte de sortie à leurs gourmandises, le passage obligé pour survivre. Devant moi, se tenaient un clavier et un petit écran. Toutes les secondes, on pouvait entendre un Bip, qui avait l’air de se répéter à l’infini. J’arborais un polo rouge sur lequel était épinglé un badge, où les lettres de mon nom, essayaient de se battre avec celles de mon magasin.
Je m’appelle Ulysse
J’ai commencé à travailler dans ce supermarché il y a près d’un an. Pistonné par mon père, chef boucher depuis des années. Je portais les couleurs du supermarché Batac. Depuis mon arrivée l’été dernier, j’avais assimilé toutes les petites difficultés de la caisse, comme les fonctions par exemple. Chaque fonction entraîne une action. La fonction 61 correspond à la pause déjeuner, la fonction 41 permet d’ouvrir sa caisse et une des plus importantes pour le client est celle que l’on utilise très souvent la fonction 54 : le test prix.
Mais la plus grande des difficultés était bel et bien les clients eux-mêmes. On perd vite ses illusions sur l’humain quand on est à la caisse d’un magasin. Il y a trois types de clients, tout d'abord « le méchant » c’est le client qui va quoi qu’il arrive se plaindre, même si on lui aura fait un sourire à se déchirer les oreilles . Il se plaindra sur la carte de fidélité, qui ne lui rapporte pas assez, il se plaindra qu’il n’a pas pu trouver ce qu’il voulait etc etc. Il y a aussi « le client bis » C’est le client moyen, qui fait ses courses : bonjour, merci au revoir. Il n’y a jamais de problème avec lui, il se dit que nous sommes des robots, que nous n’avons pas de sentiment et au fond, on en deviendrait presque des automates. Et pour finir, le client préféré de tous, dit « gentil client » le gentil client est le client qui va dire bonjour le premier et te faire un grand sourire plein de sincérité, discuter avec toi parfois et te dire bon courage.
Je regardais derrière moi mon collègue de travail Johnny qui machinalement se mettait le doigt dans le nez, et devant moi, l’accueil, où ma responsable Béatrice répondait au téléphone. Je n’ai jamais beaucoup aimé Béatrice, bien qu’elle ne soit pas méchante, elle a toujours été d’une froideur, à faire frissonner mister freez.
A ma droite Youssef, le vigil, un très bon copain, il est adorable...le paradoxe du vigil, un mur plein de gentillesse.
Il était 20h45 ça faisait dix heures que je travaillais à ma caisse. Mes jambes étaient courbatues de douleur, plus aucun client dans le magasin, je pouvais enfin compter ma caisse. Après avoir ramener mon caisson à l’accueil je me dirigeais à l’étage pour reprendre mes affaires et partir par l’escalier du personnel.
Deux jours plus tard : le lycée. Je n’étais pas un bon élève mais j’avais des résultats corrects. Depuis le début de l’année, une fille me faisait littéralement craquer. Elle était brune, pas très grande, mais d’une beauté incomparable. Elle avait le visage fin et elle portait le doux nom d’Eléanor. On ne se parlait pas trop, à mon grand regret d’ailleurs ! Mais j’espérais secrètement l’inviter au cinéma ! L’avantage de la caisse c’est qu’on a du temps à perdre, c’est d’ailleurs une des règles essentielles : avoir quelque chose à penser ! De mes dix heures, j’inventais des nouvelles dramatiques, dramatiques car pour moi les happy ends n’ont pas d’intérêt, lire une histoire qui commence bien et qui se finit bien n’est pas très captivant. Mais mon sujet de rêverie préféré était bien entendu Eléanor. J’imaginais de quelle manière j’allais pouvoir l’aborder ! Mais la peur, toujours la peur. Ce n’est pas parce qu’on côtoie des centaines de clients par jour, qu’on n'en est pas pour autant timide. Grâce ma mère, férue de mythologie ne m’ayant pas gâter au niveau du prénom j’avais une raison de plus pour m’inquiéter !
La semaine passait et déja le samedi. Un homme que j’avais déjà vu plusieurs fois dans le magasin me demanda le prix d’un gros ruban de scotch noir , j’effectuai donc la fonction 54 et je répondai à sa question. Il semblait s’intéresser au magasin car il voulait savoir à quelle heure il fermait, je lui ai répondu qu’il fermait à 20h20 et puis nous nous sommes mis à discuter, cet homme me racontais qu’il avait travailler dans une usine, mais que cette dernière avait fermé. Je pouvais clairement le ranger dans la catégorie des gentils clients . Je l'imaginer voulant travailler à Battac .
Certains jours je trouvais les clients aussi pathétiques les uns des autres . Par exemple un homme qui achète huit bouteilles de vins, achetera autant de bouteilles de Contrex pour se déculpabiliser. Ou dans un autre cas une femme va acheter des galettes de riz bio pour les tartiner de Nutella. Généralement en tant que caissier on entend souvent les mêmes phrases « Mince j’ai oublié les sacs dans la voiture » ou bien quand il s’adresse à nous « j’étais venu pour une bricole » alors que le caddy pourrait nourrir toute l ’île de France. J’en avais de plus en plus marre de Batac, je commençais à réfléchir sérieusement au fait de démissionner bientôt . Mais entre mes désirs de quitter le supermarché, un désir encore plus fort bouleversait mon esprit, celui de demander à Eléanor de bien vouloir sortir avec moi.
Entre deux cours je demandais conseil à Marine et à Lionel, deux de ses amis qui étaient aussi les miens.
Marine était une jolie fille qui travaillait comme moi à la caisse d’un magasin, une fille pleine de vie et d'humour. Lionel, je le connaissais depuis la premiere année du lycée, on ne s’entendait pas forcément en ce temps là mais très vite une complicité s’était créée entre nous deux. Ils me donnèrent pour conseil d’y aller résolument, qu’Eléanore était une fille très douce et très gentille, qu'elle saurait avoir du tact si ma proposition ne lui convenait pas . Sur ces bons conseils je me jeta à l’eau à la récréation .
J’avançais vers elle tout doucement et à chacun de mes pas c'est une décharge d’adrénaline que je me prenais en plein cœur, je suppliais mes genoux pour qu’ils ne me lâchent pas, ainsi que ma langue pour qu’elle ne me trahisse pas.
-Excuse moi, Eléanor j’ai cru comprendre que tu aimais bien le cinéma ?
-Oui j’aime bien pourquoi ?
-Est-ce que tu accepterais d'y aller avec moi... samedi soir ?
-Hum oui pourquoi pas.
- Je peux venir te chercher vers 21h30 ?
-Oui bien sur il n’y a pas de soucis.
-Super à samedi alors ?
-A samedi.
C’était si simple. Etait-ce un rêve ? Je me sentais un peu bête car si je n'avais pas été freiné par ma peur j'aurais peut être eu ce rendez-vous il y a bien longtemps . Mais ça y est j’avais réussi à l’inviter,je sentais mes pieds se détacher du sol et la sonnerie me fit vite redescendre. 10h35 cours de français , je profitais de celui-ci pour espionner entre deux lignes ma future cavalière, ce qui déplut fortement à ma très chère professeur Madame Bernard, qui me ridiculisa devant tout le monde.
«Ulyss quand tu auras fini de te rinçer l'oeil , tu pourras peut etre te focaliser sur mon cour ? »
Pris sur le fait je devenais instantanément plus rouge qu’une tomate transgénique.
La semaine de cours étant finie, j’allais encore devoir travailler ; mon réconfort était que j’allais déposer ma lettre de démission mais surtout, que j’allais enfin sortir avec ma dulcinée.
Samedi mon dernier jour de caisse dans ce super marché. J’enchaînais les clients. Béatrice devait être contente car j’avais dû exploser ma productivité, croyant bêtement que ma rapidité allait faire tourner la trotteuse plus vite.
La journée était enfin finie, il ne restait que cinq employés, j’en profitai pour compter ma caisse à grande vitesse pendant que j'imaginais mon rendez-vous avec Eléanor : J'irais la chercher après le travail, je l’emmènerais au cinéma voir un film dont je lui laisserais le bénéfice du choix. Pendant la séance je me détournerais du film pour regarder les lumières se refléter sur son visage Au générique de fin nos regards se croiseront et nos lèvres feront plus ample connaissance. Pourquoi n'aurais-je pas droit moi aussi à ce quart d'heure naïf, foisonnant de clichés, dont rêvent tous les adolescents?
Mais j’entendis un bruit si fort, si violent que mon rêve éclata en mille morceaux ! Je tournais les yeux vers le sol à ma gauche , je voyais une marre de sang, au bout de celle-ci se tenait à plat ventre Youssef mon ami le vigil qui venait de se prendre une balle en pleine tête par un homme. Je relevais mes yeux et je le vis portant un sac de sport qui semblait assez lourd c’était lui !
C’était le client avec qui j’avais souvent discuté ,c’étais lui qui m’avait raconté sa vie, lui qui m’avait demandé tant de fois d’utilisé la fonction 54.
il s’était caché dans la réserve, attendant la fermeture du supermarché pour certainement voler l’argent des caisses et du coffre. Pas de temps à perdre, il nous fit nous rassembler devant l’accueil d’un geste de son révolver. Il y avait trois caissiers, Béatrice et moi. Notre ravisseur se tourna vers moi et sortit de son sac le gros rouleau de scotch noir que je lui avait encaissé. Il me demanda d’attacher les poignées de mes collègues tétanisés par la peur. C’est fou comme on peut perdre tout courage quand on est sous la menace d‘une arme. J’exécutais donc ses ordres les mains plus tremblantes qu'un junkies en manque et quand tout le monde eut les points liés, il en fit de même pour moi. Aucun moyen de le raisonner, l’homme que j’avais connu gentil, s’était transformé en une bête de violence et de haine. Il ne comptait pas nous laisser en vie, on aurait pu le reconnaître très facilement, mais il n’avait pas non plus l’intention d'user de ses balles pour attirer les foules sur les coups de feu. Alors il nous fit avancer en file indienne vers la boucherie de mon père. Et là je compris.
Il ouvrit la grande porte glacée et nous fit entrer de force dans la chambre froide. Emprisonnés au milieu des carcasses de bœuf que mon père avait commandées, je savais pertinemment ce que j’allais devenir. Pendant qu’on pouvait entendre la scie à métaux trancher l’acier du coffre de Batac, je pensais à mon père, ouvrant lundi matin la chambre froide et me voyant sans vie . Je regardais autour de moi, Béatrice n’avait pas tenu longtemps face à mister freez, il lui avait envoyer un uppercut direct dans la mâchoire la rendant K.O. Les autres avaient perdu connaissance sous l'emprise du froid.
Je vais mourir seul avec mes pensées. Le froid a glacé les aiguilles de ma montre qui indiquent 22h. Eléanor ne me voyant pas venir, croira à un lapin et passera tout le week-end à me maudire avant d’apprendre ma fin tragique. Ses yeux deviendront peut être humides. Hémorragie oculaire, des flots de larmes engloutiront son visage, comme le mien qui doit sans doute ressembler à une patinoire.
J’avais tant de choses à vivre, tant de choses à écrire.
Je sens mon cœur se geler peu à peu, mes yeux se fermer, mes dernières pensées sont pourtant les mêmes qu’avant ce drame. J’imagine une dernière fois comment aurait pu se passer ma soirée avec Eléanor. Jusqu’à ce que les derniers battements de mon cœur mettent fin à ma vie.
Finalement, les happy-end ont peut être de l’intérêt.
2 commentaires:
Ton écriture est magnifique, je viens de finir ta nouvelle et j'en ai les larmes aux yeux!
Le jour ou un garçon s'intéressera autant à moi, j'en serais flattée!
c'est telment triste que ta nouvelle se finisse mal!
je t'embrasse
Quel play boy tu fais ! C'est pas possible.
A +
Le commissaire D
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